Voyage en Mongolie

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Au pays des loups

Accroupis le plus bas possible à trois sous un del[1], nous attendons que l'orage passe. Nous sommes au beau milieu de la steppe mongole, sans aucun abri à des kilomètres à la ronde, sans même un arbre ou quelque relief que ce soit. Nous avons encore T-shirt, lunettes de soleil et crème solaire quand l'orage est arrivé de façon inattendue. Nous entendons à proximité les bruits de nos animaux - chameaux, chevaux et chiens. En nous recroquevillant le plus possible de façon à éviter l’orage, avec nos talons rapprochés l'un de l'autre, nous espérons réduire les risques au cas où un éclair frapperait à proximité, mais les vingt-cinq minutes que nous passons dans cette position, à être bombardés par la grêle, semblent durer une éternité !

Ger typique
Ger typique

Ger typique

Ainsi se déroula une partie de notre première journée d’expédition pour dix jours de ger-à-ger[2]. Afin de voir la Mongolie « authentique » nous avions choisi une ONG locale dont le but est de participer à la sauvegarde et la pérennité du mode de vie nomade avec un tourisme raisonné. Nous n'avons pas été déçus. Alors que les familles chez qui nous étions hébergées n'ont pas changé d'emplacement pendant que nous logions chez elles, nous-mêmes avons déménagé pratiquement tous les jours d'un ger à un autre, nous déplaçant à cheval, 


à dos de chameau,



en char à bœufs,


ou en 4x4.

 


De cette façon, nous avons été en mesure d'apprécier tous les avantages, mais aussi les difficultés et inconvénients du mode de vie nomade, et dans l'ensemble nous avons été enchantés. (Quelques inconvénients : les punaises de lit, pas d'eau pour la toilette, et un manque total de toilettes et même d’intimité pour ce faire !)

paysage

Avant de partir à l'aventure, nous avons assisté à une séance d'information à Oulan-Bator où nous avons appris quelques expressions utiles en mongol (par exemple: «J'aime le galop» ou «je ne suis jamais monté à cheval» - mieux vaut ne pas les confondre !), comment jouer aux osselets, et la notion de «GPS» mongol - Ger Positioning System. Dans un pays avec peu de routes permanentes et encore moins de panneaux de signalisation, il s'agit de suivre le balayage (vague) de la main d'un propriétaire de ger sur l'horizon jusqu'au ger voisin …

une de nos familles d'accueil

Sur place nous avons également appris d’autres rites et interdits culturels tels que : ne pas poser le pied sur le seuil du ger lorsque on y entre, laisser les hommes entrer d'abord dans le ger, et quand on s’allonge, de veiller à avoir toujours les pieds vers la porte, plutôt que vers l'autel familial. La porte d'une yourte fait toujours face au sud, vers le soleil. Le thé chaud et salé - et étonnamment délicieux - que les Mongols boivent à longueur de journée doit être dégusté dès qu'il a été servi, et par politesse toute friandise proposée se doit d'être goûtée. En général ce dernier point ne me posait pas de problème, sauf la fois où on nous a offert une grande assiette d'abats de chèvre fraîchement cuisinés, provenant d'un animal que nous avions entendu abattre quelques heures plus tôt ! 

intérieur d'un ger

plafond d'un ger 

meuble dans un ger 

L'air frais nous ouvrait l’appétit, et la nourriture, tout en n'étant pas très variée, était substantielle et abondante. En arrivant dans une yourte, on nous proposait souvent du lait caillé ou du fromage servi dans une assiette commune, et parfois de la vodka « fait-ger ». Un matin pour le petit déjeuner nous avons eu du beurre fraîchement baratté, incroyablement bon ! La plupart du temps les repas étaient cuisinés sur un réchaud alimenté par le crottin de cheval, et ils étaient généralement composées de nouilles fait-maison mélangées avec de la viande de yack ou de mouton et éventuellement quelques légumes, achetés au village le plus proche (les nomades, par définition, ne cultivent pas de légumes !). Comme les réfrigérateurs n'existent pas, la viande est généralement enveloppée dans un vieux chiffon, et quand il en faut un morceau il est déchiré et martelé pour l'attendrir [3].  

un repas typique

Les nomades, hommes et femmes, travaillent très dur. Les femmes, en plus de la préparation quotidienne des repas, ont la responsabilité de la traite des animaux deux fois par jour, et la fabrication d'un grand choix de produits laitiers. Le lait n’est jamais utilisé seul, mais toujours bouilli au préalable. J'ai essayé aussi bien la traite des vaches que le barattage du beurre, et je me suis vite rendue compte combien ces taches - qui semblent faciles quand elles sont faites par les femmes mongoles – sont en réalité difficiles ! Des « guirlandes» de fromage étaient souvent suspendus à l'intérieur des gers, ou laissés dehors dans des bacs sur le toit pour qu'ils sèchent. 

fromage séchant au soleil 

produit laitier fait maison

"guirlande" de fromage

 Même quelque chose d’aussi simple que boire de l'eau potable suppose d’alimenter le poêle, de faire bouillir une grande casserole d'eau (eau qui doit être transportée depuis le village le plus proche), qui doit ensuite être versée dans un thermos à travers un morceau de mousseline pour être filtrée, et ensuite il faut attendre que l'eau atteigne une température qui la rende buvable ... Les hommes sont généralement très occupés avec l'élevage des animaux et passent beaucoup de temps à cheval.

élevage


Nous aussi avons souvent eu l'occasion de monter à cheval, mais uniquement pour le plaisir, pas pour le travail ! Quelle merveille de se balader à travers les paysages verdoyants, en regardant les grands espaces qui s'étendent à perte de vue sous un ciel bleu vif et sans nuages. Nous avons rapidement appris comment monter à cheval comme les mongols (étriers longs, rênes courts, pas de trot) et le mot mongol pour « hue » (« tchoo »). Pendant que nous chevauchions nous avons souvent vu des grands oiseaux prédateurs, ou des groupes d’animaux - difficiles de distinguer ceux qui étaient domestiques de ceux qui étaient sauvages.

oiseau prédateur

Nous avons vu aussi de nombreux ovoo, c'est à dire des collections de pierres chamanistiques se trouvant habituellement en hauteur, au sommet des collines, par exemple. Ils étaient faciles à repérer avec leurs drapeaux de prière bleus qui flottaient dans le vent.


ovoo



Malheureusement il était déjà temps de retourner à Oulan-Bator, d'apprécier notre première douche depuis plusieurs jours, et de sauter dans le train Trans-Mongolien pour la suite de notre voyage.

Oulan Bator

Oulan Bator

train pour Pékin 


Lectures conseillés :

« L'Axe du loup » par Sylvain Tesson, Éditions Laffont 2004
Pendant huit mois, Sylvain Tesson a refait le long voyage de la Sibérie au golfe du Bengale qu'effectuaient naguère les évadés du Goulag. Seul, il a franchi les taïgas, la steppe mongole, le désert de Gobi, les Hauts Plateaux tibétains, la chaîne himalayenne, la forêt humide jusqu'à la montagne de Darjeeling. À pied, à cheval, en vélo, sur six mille kilomètres.

« Le Totem du loup » par Jiang Rong, Editions Bourin, 2008
Le récit d'une initiation, celle de Chen Zhen, jeune étudiant chinois qui doit apprendre, au contact des tribus mongoles, comment survivre. Les hordes de loups règnent encore sur la steppe et les cavaliers nomades, héritiers de Gengis Khan, craignent et vénèrent cet animal. Ils l'ont choisi pour emblème et la rencontre avec cette culture, qui n'a pas évoluée depuis le Moyen Age, va bouleverser le jeune Chinois. Il sera d'autant plus ébranlé que cet univers qui le séduit tant est sur le point de disparaître

« Mongolia» guide Lonely Planet en anglais.

[1] vêtement mongol traditionnel à manches longues.

[2] "Ger" est le mot mongol pour 'yourte'- l'habitation nomade qui est ronde et transportable.

[3] J'aurais préféré ne pas savoir quel âge avait la viande, mais j'ai été informée (contre mon gré) ‘environ deux mois !’



Cet article a été d'abord publié dans le Petit Echotier de janvier-février 2011, la revue de l'AFC (Association des Francophones en Corée).

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